Les notes de voyage de Bernard Desjeux, reporter photographe

(actualisé le ) par Patricia Ollivier

Voyage au collège Le Racinay de Rambouillet.

Début février je me suis rendu à Rambouillet où j’étais invité à parler de voyages au Mali et, de façon plus générale, à expliquer comment se rédige un carnet de voyage.

J’ai été accueilli par les professeures de géographie et de français. La directrice du collège est venue me saluer à mon arrivée.

Dans une vaste cour les enfants jouent. À quoi ? Je n’en sais rien, tout va trop vite, mais j’entends des éclats de voix et des rires. Un univers d’amis où l’on apprend à vivre en société, à devenir des adultes.
Nous montons par l’ascenseur au premier étage, j’échange quelques mots avec la professeure de géographie pour cadrer la rencontre. Les élèves rentrent en silence, bien sagement. Je sens quelques regards curieux, il va falloir que je sois à la hauteur !
Il se trouve que j’aime beaucoup la musique de jazz et que j’ai adopté une démarche qui en découle : autour d’un thème, j’improvise suivant les personnes à qui je m’adresse, suivant leur réaction, leur âge, leur intérêt. J’aime bien parler et j’aime aussi beaucoup écouter, c’est pourquoi je suis très gourmand de questions. Je dois dire qu’en la matière j’ai été servi.

Nous commençons par écrire au tableau quelques mots évoquant la notion de voyage. Je ne me souviens plus de tous : enrichissement, paysage, pays, culture, paradisiaque, déplacement, rencontre… J’y ajoute la curiosité et le partage.
La variété des mots montre qu’il y a souvent plusieurs points de vue qui se valent tous : il n’y a pas de « bonne » ou de « mauvaise » réponse. Le fait d’exister suffit.
En tous cas pas de confusions : le tourisme, c’est la consommation, on vient chercher ce que l’on a acheté. Le voyage, c’est la découverte au delà d’un prospectus réducteur il intéresse tout.

La curiosité est le premier mobile qui m’a poussé sur les routes du monde : d’Amérique, d’Asie, du Moyen-Orient et, plus tard, d’Afrique. Je voulais goûter les sensations du monde : écouter, voir, rencontrer… Vivre le monde dans tous les sens.

Le partage : je n’ai pas beaucoup développé avec vous.
D’abord « briser » le pain, vivre avec les autres pour mieux comprendre au raz des pâquerettes les existences diverses et variées de l’humanité. J’ai très vite appris que l’Occident n’était pas le centre de l’univers et que nous avions beaucoup à apprendre de l’autre.

Puis partager ce que j’ai vu, compris, faire connaître comment vivre ceux que l’on appelle les autres. Dès mon enfance je ne supportais pas l’injustice, le refus de la différence. J’ai été très marqué par les luttes pour l’égalité et j’ai même été manifester dans les ghettos américains dans les années 60. Chanter à 20 ans « We Shall Overcome » (chant de libération des Noirs) devant le Capitole à Washington, capitale des USA, vous marque pour la vie. C’est ce même Capitole qui a été vandalisé lors des dernières élections américaines.
Curiosité et partage sont les fondements du métier de journaliste. Être un passeur d’images, de couleurs, de mots, d’idées, de joies, de peines. Détricoter les fils de la vie pour mieux avancer, mieux la maîtriser, apprécier davantage le monde.

En gros, il y a la presse écrite et la presse audiovisuelle (la télévision, la radio), la presse d’actualité et la presse magazine. Avec ma femme Catherine, nous avons choisi les reportages au long cours en France, au Sahara, au Maghreb et en Afrique.

C’est ainsi que nous sommes arrivés au Mali pour la première fois, après une belle traversée du Sahara.

Vos questions sont nombreuses, toutes très intéressantes et pertinentes. Je ne me souviens pas de toutes, en voici quelques unes.

Vous avez traversé la mer m’sieur ?

En effet, Madame Ollivier, la professeure de géographie, a projeté une image montrant l’Europe et une partie de l’Afrique de l’Ouest, dont le Mali.
On devine une petite séparation au sud de l’Espagne avec le Maroc, c’est le détroit de Gibraltar. « Oui j’ai mis la voiture sur un bac. Regardez la mer Méditerranée, c’est sa seule sortie. » J’aurais pu évoquer le canal de Suez, j’évoque la grave pollution par les micro-plastiques… Stop, je m’arrête ! Lorsqu’on voyage, on s’intéresse à tout : l’histoire, la géographie, l’économie, l’environnement, la culture…

Pourquoi vous avez choisi le Mali, m’sieur ?

Je marque un silence. Et oui, pourquoi ? Je ne peux répondre. Pourquoi pas ? Puisque c’est le sujet de l’intervention.
J’hésite, car c’est plutôt le Mali qui nous a choisis : nous y sommes venus la première fois pour voir ce qu’il y avait de l’autre côté de l’horizon.
« Sans doute à cause de sa civilisation. » Je me rends compte que ma réponse n’est pas très claire, toutes ces petites frimousses attendent sans doute autre chose, j’ai un peu oublié comment on parle « 5ème ». Alors j’évoque l’empereur Sundjata Keïta et là, j’aggrave mon cas. Il a organisé le pays : une « mosaïque » de peuples. J’aurais dû évoquer l’invention de la « parenté à plaisanterie », la suppression de l’esclavage…
« Parce que les Maliens sont très gentils » est peut-être une réponse plus simple. Nous nous y sommes fait de nombreux et vrais amis que nous revoyons d’année en année.

Vous parliez quelle langue, m’sieur ?

Bonne question, il y a de très nombreuses langues : le tamasheq, la langue des Touaregs, le mandingue, le songhaï, le peul, les langues dogon, etc.
J’aurais dû dire aussi que le pays, colonisé pendant une soixantaine d’année, est en partie francophone et que l’on trouve partout des personnes qui parlent français.

Vous avez rencontré des gens célèbres, ms’sieur ?

Nous voici dans la partie « people ». J’explique que oui j’ai rencontré des personnes célèbres, mais pour nous ce n’est pas l’important. Ce qui compte c’est la personne. « Un homme est un homme, aucun n’est au dessus de l’autre ».
Je lâche quelques noms, sans trop de succès. Je suis sauvé par madame Ollivier qui évoque Lamomali, le spectacle monté par Matthieu Chedid. Là je suis de plein pied et « si je n’ai pas rencontré Sidiki Diabaté, je connais son père Toumani Diabaté, un fantastique musicien de Kora (une harpe à 21 cordes, caisse de résonnance en calebasse), mais surtout je connais très bien Fatoumata Diawara depuis longtemps, elle était à peine plus âgée que vous et jouait dans un film qui s’appelle La Genèse du cinéaste Cheick Oumar Sissoko. Sur le tournage avec l’équipe, nous étions comme une grande famille. Nous avons monté les marches du Festival de Cannes ensemble dans la catégorie “un certain regard”. C’est aujourd’hui une grande vedette mondiale qui n’a pas perdu sa simplicité, qui n’oublie pas d’où elle vient.

Est-ce que tout ce que vous avez fait, serait possible aujourd’hui ?, me demande la professeure de français.

Je ne pense pas, j’hésitais à vous le dire, mais j’ai fais de longs voyages en autostop. Je vous le déconseille, aujourd’hui le monde a évolué. J’ai eu la chance d’avoir 20 ans à la fin des années soixante où nous nous étions mis dans la tête d’inventer un nouveau monde, où tout le monde serait beau et gentil. Force est de constater que ce n’est pas vraiment le cas. Pour autant, tout bouge tout le temps et vous avez beaucoup plus de moyens matériels aujourd’hui. À vous de bien les utiliser. Je pense aux portables : ils peuvent vous détruire par l’abrutissement et la dépendance, ils peuvent être un moyen fantastique de connaissance et de partage. À vous de décider.
Avec la pandémie, vous vivez en ce moment des événements incroyables que personne n’a jamais connus, à vous d’inventer, de réagir, d’apprendre…
Je vous assure la vie est belle. Pour celui qui écoute, regarde, partage.

Pourquoi ils ont écrit Timbouctou dans le petit livre que vous nous avez donnez ?

C’est parce que c’est un mot d’origine touarègue écrit avec des lettres françaises. Il fait référence à la création de la ville par une femme nommée Bouctou qui dirigeait le marché : Tin Bouctou voudrait dire : « sur le ventre de Bouctou ». En français on écrit : Tombouctou.
Ces deux petits livres, L’Iliade et L’Odyssée d’Houmarou, sont la transposition – à la façon malienne – du récit grec que vous avez étudié en 6ème. C’est peut-être le premier grand récit de voyage de l’humanité.
C’est une très bonne question.

Des questions, il y en eut beaucoup. Je m’efforce d’y répondre le mieux possible, c’est-à-dire d’apporter quelque chose à votre réflexion. Si je pouvais allumer une petite étincelle, un regard de découverte autour de vous, un désir de lire par exemple… C’est aussi une façon de voyager.

Comment faire un carnet de voyage ?

Je vois l’heure tourner. Je vois surtout un carnet de voyage sur le terrain. Dans ce cas, il faut noter au jour le jour des éléments factuels souvent les plus nombreux, car cela permet à la relecture de faire ressurgir des souvenirs : je me lève, je me couche, j’ai bien mangé (en caricaturant : « après un solide repas bien mérité, mon camarade et moi nous dirigeons vers notre eldorado »), éviter les phrases « bateaux », les « poncifs », privilégier vos réflexions, votre ressenti, vos étonnements c’est-à-dire vos découvertes.

Vous devez faire un carnet de voyage au Mali, centré sur l’humanitaire. Même principe mais cette fois-ci sur document. Posez-vous des questions. Allez chercher des informations en vous demandant : « en gros », de quoi s’agit-il ?
Le Mali : description géographique, quelques chiffres, sa situation et, déjà, les questions appellent des réponses :
C’est quoi la colonisation, le Sahel, le fleuve Niger ? Quel type de gouvernement ? Les principales ressources, l’environnement ?
Comment se déplace-t-on dans le Sahara ?
Qu’est-ce que l’humanitaire ? Pourquoi, comment ? Pour qui ? Utilisez ce que monsieur Beuf vous a dit.

Si vous trouvez des textes, ne recopiez pas mais essayez de faire la synthèse (résumé) de ce que vous avez appris.

J’ai essayé ici de faire fonctionner ma mémoire pour raconter ce que j’avais vécu parmi vous. C’est bien incomplet, il y a beaucoup de choses omises, c’est la loi du carnet de voyage. On n’est plus tout à fait le même à la fin du voyage…

Ce dont je me souviens le plus, ce sont vos sourires, votre attention et votre disponibilité.
Tous ces doigts pointés jusqu’au plafond pour poser une question, c’est formidable.
Vous dégagez une force vitale épatante.
Merci de votre accueil.

Bernard Desjeux

PS. Si vous allez sur « Editions Grandvaux Youtube », vous verrez quelques petits films sur la vie au bord du fleuve Niger, au Mali.

Sur une vie de voyage nos deux sites :
http://bcdesjeux.free.fr
http://www.editionsgrandvaux.com